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« Tout est en place pour donner corps à l’EHPAD de demain »


Publié le Mardi 6 Mai 2025 à 13:59

Directeur d’hôpital honoraire et d’EHPAD, universitaire, écrivain en gérontologie, Gérard Brami travaille de longue date sur le concept d’EHPAD de demain, livrant régulièrement des clés pour nourrir la réflexion des acteurs du grand âge. Dans son dernier ouvrage, il rassemble les deux idéaux d’un virage domiciliaire réussi et d’une avancée vers le bien vieillir avec « à tout âge », un « projet systémique et holistique fondé sur la centralité de la personne accompagnée ». Rencontre.


Pourquoi ce nouvel ouvrage consacré à l’EHPAD de demain ?
Gérard Brami : Ayant moi-même exercé comme directeur d’EHPAD pendant 40 ans, j’ai eu l’occasion de constater plusieurs évolutions intéressantes, dans le sens où elles ont posé les bases de l’EHPAD de demain : tous les rapports actuels, et tous les projets présents ou à venir du « bien vieillir », ont notamment acté le virage domiciliaire, ce qui en soi est une excellente chose. Il faut bien admettre qu’avant d’arriver en EHPAD, la personne âgée a essentiellement vécu à domicile. L’entrée en institution génère bien souvent de la souffrance, car elle est ressentie comme une rupture dans son parcours de vie, alors qu’elle devrait s’inscrire dans la continuité de sa vie antérieure. Cette notion d’antériorité est fondamentale : avec l’âge, l’on a tendance à se projeter dans le passé plutôt que vers le futur. 

Cette réflexion représente le point de départ de l’ouvrage. Pourriez-vous nous en parler ?
En effet, si l’idéal de la vie d’une personne âgée est d’être ou de se sentir à son domicile, l’idéal de fonctionnement d’un EHPAD est de faire en sorte d’assurer cette continuation du domicile, de mettre en place, au quotidien, des activités conformes à ce qu’a été la vie antérieure de la personne désormais accompagnée. L’ouvrage propose donc plus d’une vingtaine de thèmes et d’actions pour mettre en œuvre ce que j’ai nommé le projet « à tout âge », et que l’on peut décrire comme un projet systémique et holistique fondé sur la centralité de la personne, et assurant le respect de sa vie intérieure et antérieure. Il s’agit finalement de faire un pas supplémentaire par rapport aux actions déjà mises en œuvre pour favoriser le virage domiciliaire de l’EHPAD. 

Qu’entendez-vous par là ?
Je pense notamment à la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, qui a doublé le projet d’établissement par des projets d’accueil personnalisés, reconnaissant ainsi la diversité des besoins et des attentes des personnes accompagnées. Ou à l’arrêté du 8 septembre 2003 relatif à la charte des droits et libertés de la personne accueillie, qui lui a redonné la liberté d’aller et de venir, de décider de ses horaires de lever et de repas. Ou encore, au décret du 25 avril 2022, qui a renforcé le rôle des Conseils de la vie sociale (CVS) et la participation plus globale des personnes accompagnées et de leurs proches. Et surtout, à la loi « Bien Vieillir, grand âge et autonomie » du 8 avril 2024, qui a garanti, entre autres, un droit de visite quotidien et le droit d’accueillir un animal de compagnie. Donc cette loi, presque anodine et qui, sans être la fameuse loi « Grand Âge » tant attendue, n'en a pas moins accentué la vision domiciliaire de l’EHPAD. En mettant progressivement les désirs et les souhaits de la personne accompagnée au-dessus de ceux de l’institution, la puissance publique a, peut-être sans en avoir complètement conscience, cherché à rééquilibrer la perte de sa vie antérieure.

Vous évoquez un projet fondé sur la centralité de la personne. Pourriez-vous détailler ce point ?
En EHPAD, la vision individuelle s’est perdue au profit de la vision collective. Or la centralité, l’intériorité de la personne, sont des droits fondamentaux. Pour y répondre, l’EHPAD devra lui-même valoriser prioritairement son fonctionnement interne. Tout est finalement une question d’angle, de point de vue. Le projet « à tout âge » se distingue par sa volonté d’offrir des activités rappelant la vie à domicile, pour recréer un environnement familier et sécurisant, où les résidents peuvent continuer à exprimer leurs choix et à vivre selon leurs préférences. Aussi les actions proposées ne sont pas de simples activités de loisirs : elles sont conçues pour répondre à des besoins psychologiques et sociaux essentiels, la reconnaissance, l’estime de soi, le sentiment d’appartenance.

Par exemple ?
À la zoothérapie, qui est une vision institutionnelle, le projet « à tout âge » répond par l’animal de compagnie. À l’art-thérapie, il oppose le « verniss-âge », c’est-à-dire la possibilité, pour les personnes, de renouer avec la créativité lorsqu’elles le souhaitent et comme elles le souhaitent. Aux tiers-lieux, il répond par le « voisin-âge », en valorisant le vivre-ensemble et la sociabilité, en s’inscrivant somme toute dans la vie normale. Aux thérapies de stimulation cognitive, il privilégie le « bavard-âge », qui permet d’écouter et d’entendre la personne. Respecter la vie intérieure et antérieure d’un résident, c’est aussi lui permettre de boire un verre d’alcool le soir, de sortir lorsqu’il le désire. Je me souviens d’une dame accueillie dans un EHPAD que je dirigeais et qui, en fin de journée, aimait aller se promener dans le village. Elle avait tout à fait les capacités de le faire, devions-nous l’en empêcher ? Un accord formalisé avec la personne concernée et ses proches est aujourd’hui nécessaire, mais après tout, pourquoi pas ? Elle en a le droit, la législation est claire à ce sujet.

Les résidents sont-ils eux-mêmes demandeurs de cette liberté ?
Certains, oui. On ne peut bien sûr pas « forcer » la liberté, ni d’ailleurs rendre autonomes des personnes qui ne le sont pas. Mais ne perdons pas de vue que toutes les personnes accueillies en EHPAD ne sont pas GIR 1 ! Certains seniors entrent en institution à la suite de difficultés sociales, mais sont encore pleinement autonomes. Le terme même d’EHPAD, établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les invisibilise. L’on a parfois tendance à oublier que les personnes accompagnées ont aussi un droit au risque, comme tout citoyen. Et que ce droit peut être adapté à leurs capacités réelles. La législation nous offre déjà les outils nécessaires pour le faire : la présence d’équipes pluridisciplinaires, la mise en place de référents, personnes qualifiées et médiateurs sur tous les champs possibles, permettent que la relation humaine devienne empreinte de dialogues et d’échanges. Utilisons ces ressources pour donner le droit au risque, et aussi relativisons le risque. En renforçant la liberté des résidents, la loi du 8 avril 2024 a elle-même mis de côté le principe de précaution. Ne reste qu’à atténuer son poids administratif pour l’institution.

Justement, les EHPAD, et leurs équipes, ploient aujourd’hui sous un excès de normes et de règlementations…
Que de rigueur pour rien ! L’EHPAD n’en peut plus de tout assumer, et n’a plus les moyens de le faire. Redonnons de la souplesse aux organisations, adoucissons leur fonctionnement. L’EHPAD n’est pas un hôpital. Or on lui a imposé le même niveau de formalisme, de protocolisation, que celui existant dans le secteur sanitaire. Il y a une certaine contradiction, car, d’une part, on ouvre la voie à l’EHPAD domiciliaire, avec tout ce que cela implique, et de l’autre, on maintient le blocage sur l’institution avec ce droit de contrôle. Arrêtons avec toutes les contraintes pesant sur les équipes des EHPAD, essayons de rééquilibrer les pouvoirs, et surtout engageons l’évolution législative nécessaire qui permettra, enfin, d’accorder aux EHPAD un statut plus proche de celui du domicile. Tout est en place aujourd’hui pour donner corps à l’EHPAD de demain, nous y sommes quasiment. Faisons, enfin, ces quelques derniers pas pour finaliser la construction d’un nouveau modèle. Avec cet ouvrage, je cherche finalement à proposer une réactualisation du regard pour faciliter la projection dans cet avenir souhaité et souhaitable.

> Article paru dans Ehpadia #39, édition d'avril 2025, à lire ici
 

Gérard Brami
Docteur en droit, Gérard Brami a dirigé des EHPAD pendant plus de quarante ans. Il est chargé d’enseignement à l’université de Nice, et auteur de nombreux articles et de plus d’une vingtaine d’ouvrages sur le sujet des établissements d’hébergement. Il a aussi été membre de nombreuses associations et fédérations touchant à la gérontologie et au grand âge. Gérard Brami est notamment le correspondant de l’AD-PA, l’Association des directeurs au service des personnes âgées, pour les Alpes-Maritimes.
Parmi ses publications notables, nous pouvons citer La fin des EHPAD ? Réalités ignorées et vérités rejetées (Éditions Vérone, 2022), Les EHPAD entre excès de normes et contraintes financières (édition L’Harmattan, 2020), Les enjeux d’un manager en EHPAD : un abécédaire pratique (LEH, 2018), et Une pratique professionnelle innovante : la mise en place d’une charte de confiance EHPAD-Familles (3ème édition LEH, 2016), une initiative qu’il avait lui-même mise en place dans l’un de ses établissements.
Gérard Brami prépare aujourd’hui un guide pour définir et mettre en place le virage domiciliaire en EHPAD, qui sera publié courant 2025, et dévoilera prochainement de nouveaux travaux autour du référentiel des droits et libertés des personnes hébergées en EHPAD, dont il accompagne déjà la mise en œuvre au sein d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.


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